Conseil de carrière

Pénurie d’enseignants : Pourquoi les profs sont-ils en voie de disparition ?

La crise que traversent les enseignants de nos jours est indéniable, rappelant un sort presque préhistorique, comme celui des dinosaures en leur temps. La pénurie d’enseignants touche de nombreux pays, entraînant une rareté de vocations et des conditions de travail de plus en plus difficiles. À la rentrée 2019, en Belgique, un tiers des postes n’étaient pas pourvus. En France, près de la moitié des établissements manquaient de professeurs, et en Allemagne, la pénurie d’enseignants atteint son apogée depuis six décennies, avec une projection alarmante de 26 000 professeurs en moins dans les écoles primaires d’ici dix ans. La France n’est pas en reste, avec une baisse de 10 % du nombre de candidats au concours du CAPES entre 2019 et 2020, menaçant sérieusement la qualité de l’enseignement.

Au Québec, le déficit d’enseignants s’aggrave, constituant le défi majeur de 2020 selon le ministre de l’Éducation. Les répercussions de cette situation se manifestent par des classes sans enseignants en début d’année, des professeurs réguliers obligés de jouer les pompiers de service, et des remplaçants défilant les uns après les autres.

Il y a un demi-siècle, le professeur jouissait d’un statut important, respecté et correctement rémunéré. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, la plupart des enseignants ne se sentant plus valorisés par la société. C’est une triste réalité : ce métier n’attire plus. Mais la société ne semble pas en être consciente. Quand elle le réalisera, il sera peut-être trop tard. Chaque année, plusieurs enseignants abandonnent la profession dans les sept premières années suivant leur embauche. La plupart quittent par épuisement ou à cause de la lourdeur de leurs tâches.

Les causes de la pénurie d’enseignants

Les causes de la pénurie d’enseignants sont différentes :

1. Image du métier

La perception de la profession d’enseignant est au cœur de la pénurie actuelle. Le métier, considéré autrefois comme honorable, est aujourd’hui jugé ingrat, sous-payé et peu respecté. Les professeurs doivent faire face à des réformes pédagogiques constantes, aux inspecteurs parfois trop stricts et à une hiérarchie souvent distante, créant un environnement de travail difficile. L’enseignant est injustement pointé du doigt comme responsable des échecs des systèmes éducatifs, contribuant à une profonde dévalorisation de leur rôle.

Selon l’enquête Talis de l’OCDE, seulement 5 % des enseignants en France pensent que leur métier est valorisé par la société. De plus, le public sous-estime le temps que les enseignants consacrent réellement à leur travail, croyant à tort qu’ils travaillent moins que les autres.

Cette méconnaissance du métier affecte la reconnaissance des enseignants, rendant difficile leur motivation et l’attrait de la profession pour les étudiants. Un enseignant a résumé la situation en disant : « À force de nous dévaloriser et de nous accuser de tous les maux de la société, voici le résultat ! »

2. Taux de dépression chez les enseignants

Une autre difficulté fréquemment signalée par les enseignants est la mobilisation des élèves. Bien qu’ils proposent des activités pédagogiques pour les motiver, ils peinent souvent à susciter leur intérêt. Cet échec dans l’engagement des élèves est vécu comme un revers personnel par les enseignants, rendant la progression de leurs élèves difficile et la gestion de la classe plus épuisante. Malgré leurs efforts croissants, les enseignants ont l’impression de ne pas obtenir de résultats satisfaisants.

De plus, le principe de mobilité nationale, souvent perçu comme absurde, et une gestion verticale dénuée d’humanité conduisent à l’envoi des enseignants loin de chez eux, même lorsqu’il existe des postes plus proches disponibles pour des contractuels. Cette déconnexion administrative de la réalité rend le climat scolaire peu propice à l’apprentissage.

La différenciation pédagogique et l’enseignement par compétences, bien qu’importants, demandent également énormément de temps. Il est en effet quasiment impossible de personnaliser les apprentissages dans des classes de 30 élèves, menant à des résultats médiocres malgré les efforts des enseignants.

3. La faiblesse du salaire

Le salaire des enseignants est nettement inférieur à celui d’autres professions. Bien qu’ils détiennent un master (bac+5), leur salaire moyen est de 1450 € net par mois, ce qui les place 25 % en dessous de la moyenne salariale des autres fonctionnaires.

En dépit de ce salaire modeste, le temps de travail ne cesse d’augmenter à cause de la charge de travail croissante. Les heures supplémentaires, souvent non rémunérées, s’ajoutent aux obligations d’animer des ateliers de manière bénévole, par exemple. Pour mieux comprendre le quotidien des enseignants, il suffit d’accompagner un professeur pendant une journée pour constater l’ampleur de leur engagement et l’intensité de leur travail.

À LIRE AUSSI : Comment un PROF peut-il devenir riche ?

4. Le temps de travail

Les tâches d’un enseignant ne se limitent pas aux cours présentiels. Elles englobent également la préparation des leçons, les corrections, les sorties pédagogiques (souvent jugées insuffisantes par les parents, sans comprendre le travail préparatoire nécessaire), les réunions pédagogiques, les formations, les ateliers, les rendez-vous avec les parents, les services de cantine et d’étude, les classes vertes, rousses ou de neige, et les réunions de concertation pour organiser les classes. Les enseignants doivent également participer aux réunions pour les élèves en difficulté, suivis par la MDPH. Vous devriez suivre un enseignant pour saisir l’ampleur de leur travail, ou bien passer le concours pour constater les directives strictes qu’ils doivent suivre.

Il faut réellement aimer ce métier pour l’exercer. Deux heures de cours demandent au moins quatre heures de préparation, sans compter le temps consacré aux évaluations et aux remédiations. Si un élève réussit, il attribue souvent son succès à ses propres efforts. Mais en cas d’échec, c’est le professeur qui est blâmé pour son incapacité à enseigner. De plus, le temps de travail d’un enseignant ne se limite pas aux heures passées devant les élèves. Ces heures ne représentent en réalité qu’une petite partie du travail d’un enseignant, qui consacre davantage de temps à préparer les cours, corriger les copies, et accomplir d’autres tâches, comme travailler avec les collègues, rencontrer les parents et gérer l’administration. En fin de compte, les enseignants travaillent plus que de nombreux employés d’autres domaines.

5. L’absence d’une réelle formation continue

Les conditions d’exercice actuelles des enseignants sont de plus en plus exigeantes. La formation continue devrait être une priorité pour fournir un enseignement de qualité et adapté au contexte actuel. Cependant, les enseignants bénéficient rarement d’une formation continue adéquate. Par exemple, les enseignants en France ne passent en moyenne que deux jours et demi par an en formation continue, soit trois fois moins que leurs homologues de l’OCDE, dont plusieurs imposent un quota minimum de formation obligatoire. En Finlande, les enseignants participent à des formations d’une durée de un à cinq jours par an.

Ce manque de formation continue et l’insuffisance des réponses apportées aux attentes des enseignants représentent un défi majeur pour rendre la profession attrayante et permettre aux enseignants de se développer tout au long de leur carrière.

6. Parents-rois

C’est un métier où des personnes extérieures, en particulier les parents, s’immiscent fréquemment et donnent des conseils aux enseignants. Les parents-rois passent parfois derrière les professeurs pour contacter la direction, désapprouvant une note, une correction ou un commentaire sur le bulletin. Ils se plaignent parfois des sanctions prises contre leurs enfants à cause de leur comportement. Malheureusement, la hiérarchie évite de contrarier ces parents.

Ces mêmes parents n’oseraient jamais agir ainsi avec leur dentiste ou leur médecin. Seraient-ils capables de dire à un maçon comment construire une maison ou à un banquier comment calculer un emprunt ? Il n’y a plus de respect pour la profession, ni pour l’enseignant qui, chaque jour, s’efforce de former et d’éduquer leurs enfants, tâche que ces mêmes parents semblent incapables de faire eux-mêmes.

7. Les parents démissionnaires

Les parents semblent s’être désengagés de leur rôle éducatif, critiquant constamment l’école pour ses prétendues lacunes dans l’enseignement et l’éducation de leurs enfants. Ils ne perçoivent plus la distinction essentielle entre enseignement et éducation. L’école est là pour enseigner, tandis que l’éducation devrait relever des parents. Mais en réalité, les parents semblent laisser ces deux responsabilités à l’école.

En conséquence, bien que les enseignants aient un rôle de co-éducation avec les parents, ces derniers ne remplissent pas toujours leur part. Les enseignants sont ainsi lassés d’être sans cesse critiqués par des parents qui, pour la plupart, ne connaissent rien à l’enseignement. Ces parents, en fin de compte, élèvent des enfants mal éduqués, qu’ils qualifient souvent d’hyperactifs.

À LIRE AUSSI : 9 Types de parents que chaque enseignant rencontrera sûrement

Comment faire face à la pénurie d’enseignants ?

Pour lutter contre la pénurie d’enseignants et pallier le manque d’enseignants dans les écoles, il est impératif de revaloriser leur image en leur offrant la reconnaissance qu’ils méritent. Cela passe par une augmentation des salaires, mais aussi par l’amélioration des conditions de travail, notamment grâce à un soutien systématique et à une formation continue accrue, tout en limitant le nombre d’élèves par classe.

Revaloriser l’image de l’enseignant

Redonner à la profession enseignante la place centrale qu’elle mérite dans une société véritablement préoccupée par son avenir social et économique. Cela passe par une meilleure reconnaissance du rôle des enseignants et une valorisation de leur image auprès du public.

Augmenter les salaires

Les enseignants sont actuellement sous-payés, et leur salaire n’a pas évolué au même rythme que ceux d’autres professions. Un enseignant a suggéré qu’ils pourraient un jour bénéficier de la pénurie d’enseignants actuelle : « Peut-être qu’un jour, on sera tellement rares qu’on sera payés correctement ! »

Améliorer les conditions de travail :

  • Encadrer systématiquement et offrir un soutien actif à tous les enseignants.
  • Repenser la formation continue des enseignants, en prévoyant plus de temps dans leur emploi du temps.
  • Fixer un nombre raisonnable d’élèves par classe.

Je ne veux plus être prof que faire ?

Lorsqu’un enseignant ressent « Je suis prof et je n’en peux plus », il existe des options pour se réorienter. Le détachement permet de tester de nouveaux domaines tout en conservant son poste. La mise en disponibilité offre une pause pour se consacrer à d’autres projets. La démission est une rupture définitive, tandis que la rupture conventionnelle peut apporter une sécurité financière pendant la transition. Un bilan de compétences aide à orienter sa reconversion professionnelle

1. Demander un détachement

Le détachement offre aux enseignants la possibilité de s’essayer à un autre métier sans renoncer définitivement à leur carrière d’enseignant. Cela permet une mobilité professionnelle vers d’autres établissements scolaires comme les lycées militaires, agricoles ou les instituts spécialisés, ainsi que vers des organismes d’intérêt général. Vous pourriez tester un autre métier tout en gardant la sécurité de votre poste d’origine​.

2. Mise en disponibilité

La mise en disponibilité permet aux enseignants de mettre leur carrière en pause pour une durée définie, pouvant aller jusqu’à trois ans. Ce temps peut être utilisé pour reprendre des études, s’investir dans des projets de recherche, ou se consacrer à des affaires personnelles. Cela permet d’explorer d’autres options de carrière sans engagement permanent​​.

3. Démissionner

La démission est une décision définitive qui nécessite une réflexion approfondie, car elle implique la perte de tous les avantages liés au statut de fonctionnaire. Cependant, elle reste une option pour les enseignants épuisés par les conditions de travail et qui souhaitent changer radicalement de secteur. Il est important de bien préparer un projet professionnel avant de franchir le pas​.

4. Rupture conventionnelle

Bien que rarement acceptée, la rupture conventionnelle est une option qui permet aux enseignants de quitter l’Éducation Nationale tout en bénéficiant de l’assurance chômage. Cela peut offrir une certaine sécurité financière pour préparer la transition vers une nouvelle carrière​.

5. Faire un bilan de compétences

Un bilan de compétences est un outil précieux pour les enseignants cherchant à redéfinir leur avenir professionnel. Il permet d’évaluer ses compétences, ses aptitudes et ses aspirations afin de mieux orienter sa reconversion vers un secteur qui correspond à ses valeurs et à ses envies​.

Et vous, que proposez-vous pour revaloriser la profession enseignante ? Et comment faire face à la pénurie d’enseignants?

Share

View Comments

  • Diminuer le nombre d’élèves par groupe et diriger les élèves en difficulté dans les groupes appropriés...adaptation scolaire ou autre.

    Ramener les cours de cuisine, de jardinage, de plomberie de base, électricité de base

  • Je ne dirai rien car tout ce que je dirai ne servira à rien tellement nous sommes dirigés par une bande d’incapables

  • En dehors du manque de reconnaissance, du salaire et des remarques perpétuelles sur les horaires ... Le système de mutation est a rediscuter également.
    Pourquoi les gens ne veulent pas enseigner ? C’est également parce qu’ils doivent tout quitter.
    Exemple un jeune (de l’académie de bordeaux) qui a son concours est obligatoirement envoyé vers Versailles - Créteil - Lille ... et pour une durée indéterminée. Et dans des zones reconnues plutôt difficile. Cela ne donne pas forcément envie...
    Et si cette personne n’est pas pacsée ou mariée à une personne dans la région aquitaine. Il ne pourra pas rentrer avant des années et des années (voir ne pas rentrer du tout..)

    Pourquoi n’y a t-il des points que pour les personnes en couple ou avec enfant ? Ne peut-il pas y avoir des points pour l'académie de formation, l’académie où l’enseignant est né ou l’académie où il a de la famille ?

  • Bien longtemps que je ne suis plus "dans le coup" mais plusieurs de mes enfants et petits-enfants sont enseignants, ou l'ont été avant de changer de métier.

    D'après mon expérience d'autrefois et d'aujourd'hui,
    - la principale cause de désaffection est le manque de respect dont ils sont victimes, manque de respect de la part des élèves, parfois, mais de la part des parents et de la société en général, très souvent voire toujours. Petit exemple : Dans une boutique, une maman se plaint à voix haute de ce que sa fille envisage d'épouser "un petit prof" ; elle ne sait sans doute pas que j'en suis un, moi aussi… mais peu importe.

    - les conditions de travail. Quand 1, 2, voire davantage d'heures séparent 2 de ses cours, (ce qu'en Belgique nous appelons "heures de fourche"), l'enseignant n'a guère de possibilité de travailler à des préparations ou corrections ; la "salle des profs", c'est celle où tout le monde passe ou repasse, papote, prend son déjeuner-tartines, commente l'actualité… Pas mal de temps perdu.

    - le salaire. pour ma part, je ne m'en plains pas : mon mari et moi, tous deux enseignants, avons pu élever correctement 5 enfants. Mais il est vrai que lorsqu'on change de métier, on jouit généralement d'une rémunération plus élevée, surtout dans une entreprise privée.

    - la formation continue : j'ai eu une semaine par an, mais toujours à mes frais...

  • Augmenter l'autonomie professionnelle. Faire cesser l'ingérence des parents, directions et bureaucrates. En plus, ça ne coûte rien alors les politiciens ne peuvent pas nous faire jouer le même vieux disque "qu'il-n'y-a-pas-d'argent-dans-les-fonds publics"

  • Et où est , dans cet article, la responsabilité de l'enseignant dans le résultat global (démotivation de l'enseignant et celle de l'élève).
    Pourquoi l'enseignant a-t-il choisi son métier? Par vocation ou par sûreté de l'emploi? Il est vrai néanmoins que la société est de moins en moins concentrée sur la tâche qu'elle fait et l'enseignant comme l'élève en sont la résultante. Nous avons aussi un équilibre entre travail manuel ou intellectuel. Dans cet équilibre, là peut-être, nous pouvons à nouveau retrouver un nouveau souffle.

  • Nous sommes effectivement «gouvernés» par des gestionnaires. Ceux qui décident de ce qu'on doit faire dans nos classes sont bien trop éloignés du terrain (voire n'y ont jamais mis les pieds). Que nos plus proches conseillers et inspecteurs soient obligatoirement à temps partiel en classe pour pouvoir valider leurs injonctions pédagogiques.
    Et qu'aux plus haut, on écoute VRAIMENT ce qui remonte du terrain : nous sommes coupés des décideurs par trop d'intermédiaires hiérarchiques qui soignent leur carrière....

  • Virer les incompétents, comme ds le privé. Une x nommé, un prof peut gagner sa vie ad vitam eternam sans rien faire, en cumulant ses jours de maladie par exemple. Ras-le-bol des enseignants fainéants !!!

    Anne, une prof passionnée mais en colère...

  • Je fais ce métier depuis maintenant 22 ans mais le cœur n y est plus. Je considère qu etre aussi mal payé avec un bac +5 est un affront fait aux enseignants. Nous sommes enseignants de génération en génération dans ma famille depuis 1850. Mais cette succession se terminera par moi. Mes 3 enfants refusent ce sacerdoce : avoir une mère toujours en train de faire des recherches, d ameliorer sa pédagogie pour les porteurs de handicap, de corriger à longueur de semaines ses copies les ont dégoûtés. Les hussards noirs de la république se termineront avec moi.

  • J'aimerai enseigner, mais je n'arrive pas à trouver de formation concrète... :/
    Si quelqu'un a une idée...

Écrit par
Hajar Chouqiri